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18 novembre 2012 7 18 /11 /novembre /2012 01:17

A l'heure où j'écris ces lignes, Skyfall explose et brille au box-office mondial, non sans s'attirer les critiques élogieuses et l'accueil plutôt très enthousiaste du public.

 

Je tiens à préciser que ce texte contient des spoilers majeurs, dans cette tentative d'expliquer un ressenti sur cette tentative de revival qui a le mérite de tenter une déstructuration d'un mythe hyper codifié. Oui, il y a beaucoup de tentatives ici. Vous voilà avertis, chers camarades.





A ce titre d'ailleurs, je suis très loin d'être un admirateur de l'agent 007, trouvant que les films étaient toujours des photocopies pales des modes du moment, avec les codes connus de tous (la musique, la structure avec pré-générique, les voitures, le costard, les phrases récurrentes, les archétypes etc...) comme seul liant véritable. En revanche, j'ai toujours été fasciné justement par la capacité de ces films d'être le reflet de leurs époques.

 

A Star Wars, il y a eu Moonraker, à Indiana Jones, Octopussy, aux actionners façon Stallone, il y a eu Goldeneye, aux super-héros, il y a eu Meurs un autre jour, à Jason Bourne, il y a eu Casino Royale.

Si l'on devait inscrire Skyfall dans cette même logique, nul doute qu'on l'identifierait immédiatement au Batman de Christopher Nolan, qui s'est fait maitre du blockbuster intellectuel introspectif.

 

Aussi après un très efficace pré-générique, à l'issue inatendue, Skyfall emprunte les pas du pourtant contemporain The Dark Knight Rises, à savoir la mort et la résurrection du héros.

Mais là où le remarquable troisième volet des aventures de la chauve-souris par Christopher Nolan déconstruisait son mythe pour mieux le réhabiliter et lui proposer une fonction bien au-delà de sa petite personne, le film de Sam Mendes déconstruit le mythe comme Nolan, à savoir physiquement et psychologiquement (on nous présente un Bond vieux, usé, fatigué, essoufflé, dépressif, inapte) mais dans le seul but de réhabiliter ses codes.

 

Car au-delà de l'aspect psychanalytique surligné dans cette 23ème aventure, il y règne un certain cynisme dans sa volonté de brasser les gimmicks du personnage (à base de remarque sur les gadgets, de voitures évocatrices etc etc...), un cynisme quasiment omniprésent en totale contradiction avec le prétendu parcours initiatique dont il est question.



"Z'avez-vu, comme elle est belle ma bagnole ? Elle, c'est ma gloire passée. Je lui tourne le dos, parce qu'en vrai, je suis humain. Mais une gloire quand même, hein."

 

Et c'est là où Skyfall échoue à livrer un véritable coup de fouet salutaire à la franchise, car, s'il y a bien comme objectif de remettre en question (assez lourdement) son personnage en l'humanisant, il n'est guidé par aucun récit, aucune quête, et aucune finalité si ce n'est le ramener à sa simple condition de surhomme, encadré par tous ces codes acquis. Il n'y a donc comme seul moteur de la narration cette thématique, qui va être lourdement rabâchée, proposée sous différents angles, par ailleurs tous pertinent.

 

C'est d'ailleurs probablement ce qu'il y a de plus frustrant dans Skyfall, et très certainement grâce à la présence de Sam Mendes derrière la caméra (à défaut d'être un incontournable, il est quand même bien au dessus des faiseurs qui ont réalisé les précédents), il se dégage un potentiel à chaque séquence, pour la plupart assez superbement réalisées (visuellement, c'est vraiment l'un des blockbusters les mieux éclairés depuis un bail), comme s'il y avait définitivement quelque chose à faire de cet agent double zéro.

Mendes s’interroge explicitement sur la pertinence de ce type de héros (et probablement du genre de film dans sa globalité) dans le monde d'aujourd'hui.

Ainsi, tout comme le Bruce Wayne boitant ne semblait plus avoir sa place dans Gotham City, James Bond est inapte à retourner en mission, alors même qu'une menace s'abat sur le MI-6, questionnant ainsi l'efficacité et la pertinence de cette dernière. Face à un monde qui change, à l'heure de l'informatique et de la surinformation numérique, quelle est l'utilité de ces hommes de terrain, qui n'ont plus d'activité que celle de tuer, bouger, courrir, à défaut de ramener des informations (ce qui était tout de même la fonction principale d'un espion), les ordinateurs s'étant substitués à eux ? Ce n'est pas pour rien que le némésis de cet épisode est un antagoniste parfait au héros, un personnage façon Joker (dans sa volonté de pousser les personnages dans leurs retranchements) qui partage avec Bond la même "mère" M, et dont le pouvoir réside principalement dans une maîtrise absolue des outils informatiques. Alors même que le chaos s'installe et que plus personne ne croit au fonctionnement du MI-6 tel qu'il existe, Bond décide, pour gérer la crise, de le faire à sa manière et d'emmener l'ennemi sur son terrain, en l’occurrence celui de son enfance, la maison qui l'a vu grandir, "Skyfall". C'est tout l'intérêt du dernier acte, censé être larésurrection du héros. En dehors du système, de la ville ou de toute informatique, c'est sur le terrain que ça se joue, à échelle humaine. Sur le papier et dans les cadres, nous sommes bien dans un western, dans Chiens de Paille, avec un James Bond jouant de la carabine, brûlant ses fondations, et in fine, achevant le bad guy sans aucun artifice, juste un couteau, "la bonne vieille école". Pour Mendes, c'est aussi ça le message: pas de gros artifices, pas de super-pouvoirs, juste des hommes.



Ceci était la première photo officielle du film. Tout est dit ?

 

Tout ceci serait passionnant, pertinent, si et seulement si ces thématiques exposées étaient réellement mises à mal, contredites, pour mener à une proposition. Or, c'est là le principal problème de Skyfall, rien n'est proposé. Jusque dans son sujet, le film ne fait que perpétuer une sorte de mise en abîme du mythe de Bond. Une boucle fermée. Les thématiques surexposées à chaque séquence ne sont jamais liées à un récit. Chaque séquence illustre bêtement la thématique souhaitée, sans la remettre en question. Sans la travailler au corps et au coeur. Parce que de coeur, Skyfall en est dépourvu, jamais (ou rarement) les faits accumulés à l'écran ne sont vraiment liées à des émotions, si ce n'est la simple suprise de la découverte (une émotion intellectuelle).  

 

Sam Mendes, avait su bluffer son monde avec American Beauty (qui traitait déjà de crise existentielle) n'y est certainement pas étranger, il fait de James Bond un pensum sans émotion, jusque dans ses personnages qui dégagent malgré les tentatives, une profonde antipathie dans leur choix qu'on pourrait juger crétins.

Une séquence parle particulièrement d'elle-même. Le personnage de Judi Dench, M, doit justifier la crise que subit le MI-6 dont elle est tenue responsable. Parallèlement, le méchant (campé par un Javier Bardem vraiment bon) s'échappe de sa prison dans le but de l'éliminer. Bond, à sa poursuite, prévient ladite M des faits, qui pourraient non seulement la mettre en danger, mais également mettre à mal la sécurité de la salle très officielle dans laquelle elle se trouve (où se tient un paquet de gens importants, notamment, excusez-moi du peu, le premier Ministre et tout un tas d'innocents).

Mais M, qui n'a en tête que de racheter son honneur, décide de rester, soit, mais surtout de ne pas INFORMER les personnes du danger qu'ils courent, préférant leur réciter un joli poème. La séquence est belle, met en valeur la thématique souhaitée, mais terriblement stupide. Car, in fine, le méchant débarque, des innocents sont tués, et un personnage important se prend une balle à la place de cette connasse de M.

 

Les enjeux du film, le monde et le spectateur en sont irrémédiablement exclus. Tout tourne autour des personnages, qui sont censés malgré tout être les garants de la sécurité du monde - et du coup des autres - le méchant, la menace principale ne concerne QUE le MI-6 et M, la mission de Bond c'est de protéger M, le décor final, la maison d'enfance du héros.



5-tendances-cles-tirees-james-bond-skyfall-L-sAEAdZ"J'me rappelle plus, j'ai mis un slip ce matin ?"



De héros parlons-en. Un petit tour sur la source super sûre qu'est Wikipédia plus tard, on y trouvera tout de même cette phrase:

"Le rôle du héros se situe entre l'aspiration métaphysique, presque religieuse, de dépasser la condition humaine, notamment d'un point de vue physique et entre l'aspiration plus réaliste d'œuvrer pour le bien de la communauté, d'un point de vue moral."

 

Si le film tend à nous rappeler que James Bond est censé en être un, (on va nous faire vaguement croire que ce mec sacrifie son intérêt privé en brûlant sa maison d'enfance - sauf qu'il nous dit tout de même que, ça va, il en avait rien à foutre) mais JAMAIS il n'en est dans les faits. C'est juste un sale type égocentrique qui va se battre pour se prouver qu'il en est toujours un. Mais il ne sauve personne. Pas même sa môman de substitution (ce qui était l'objectif initial de son plan...) qui crèvera malgré tous ses efforts. Bah ouais connard, t'as beau te persuader d'être ce que tu n'es pas, tu as échoué ! Tu as beau chialer comme un veau, tu n'as pas de morale (combien de personne laisse-t-il crever alors qu'il avait l'occasion de les sauver ?) ni de fonction. Tu as juste réussi à prouver que tu ne servais à rien. (encore un fois, la "mission" de Bond est un échec  ! Il n'a pas protégé celle qu'il devait protéger ! Il n'a rien apporté au pays, sachant que le méchant ne menaçait personne d'autre.)


skyfall-daniel-craig"Pourquoi je vis, pourquoi je meurs ?"

 

C'était si dur que ça d'appeler du renfort en douce dans sa baraque à la con plutôt que de se la jouer cow-boy avec un vioc ? Thématiquement ça aurait été moins pertinent (puisqu'il s'agissait ici pour Mendes de montrer un retour à la nature, sans l'aide de personne ni artifices), mais c'était juste logique...

Mais tout va bien dans le meilleur des mondes. Le méchant est éliminé. Les codes sont retrouvés, M, Q, Monnepenny, ils sont tous là, et le thème retentit fièrement. Cool. Et après ?

 

C'est bien beau, mais il n'y a nul rêve à la clef. Rien d'inspirant. Rien qui nous élève (le sujet principal du concurrent direct de Skyfall, le suscité The Dark Knight Rises)  

 

Skyfall prouvre une chose, James Bond sera toujours et simplement, dans l'air du temps. Rien de plus. Et aujourd'hui, peut-être que le monde oublie simplement de rêver.

Vendez-nous du rêve ! Au lieu de nous répèter des crises existentielles à la noix, de nous dire que la vie c'est moche, dur, questionnable, apportez-nous des réponses, de l'évasion. Dîtes-nous qu'on peut aller au-delà de ça. Faites-nous croire aux héros. A des valeurs. A l'abnégation. Pas à l'égocentrisme. Pas à ces choses qui nous bercent au quotidien. Vendez-nous du rêve, dites nous que la vie est belle, messieurs les conteurs. Vous en avez la responsabilité.

 

215-0

Ça a quand même une autre gueule, non ?

 

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